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Statues de François Arago et du colonel Denfert-Rochereau

Mercredi 1er octobre 1879 ♦ Actualité

Perpignan vient d’inaugurer la statue de François Arago ; Montbéliard, celle du colonel Denfert-Rochereau. Chacune des deux villes a mis, dans son inauguration, toute la coquetterie et toute la solennité possibles. Les banquets, les discours, les réjouissances publiques se sont renouvelées et prolongées pendant deux ou trois jours. La présence et la parole de M. Jules Ferry d’une part, de M. Lepère de l’autre, ont ajouté encore à l’importance de ces manifestations.

Elles ont assurément leur bon côté, leur côté noble et utile. S’il faut pourtant dire toute notre pensée, nous avouerons que, à notre sens, elles deviennent peut-être trop fréquentes, et surtout trop bruyantes. Les statues dressées en l’honneur des hommes qui ont honoré ou servi la patrie, les monuments élevés à la mémoire de ceux qui ont succombé pour sa défense, sont en eux-mêmes chose excellente et respectable. Mais, à les multiplier comme nous le faisons depuis quelques années, ne leur enlevons-nous pas de leur signification et de leur valeur ? Est-il nécessaire, en outre, d’entourer de tant d’apparat l’installation d’un marbre commémoratif auquel se rattache parfois, en même temps qu’un souvenir de reconnaissance, un souvenir d’humiliation et de deuil ? Y a-t-il enfin dignité, y a-t-il sagesse à entonner avec tant d’insistance le chant du « relèvement », et cela, dans certains cas, à deux pas de la frontière même que nous avons perdue ? Ne s’aperçoit-on pas que ces verbeux épanchements de satisfaction nationale finissent par tomber dans la glorification de nous-mêmes, et qu’une parole excessive ou imprudente est bientôt dite, au milieu de l’effusion d’une harangue populaire ou de l’ivresse oratoire d’un banquet patriotique ?

La Prusse s’est relevée, elle aussi, après Iéna, et la Russie après Sébastopol ; elles n’ont eu besoin, pour cela, ni de tant de statues ni de tant de phrases.

Le général Ignatieff vient, au reste, de donner à cet égard un exemple qui arrive droit à notre adresse.

Ces jours derniers, au moment de quitter le gouvernement général tem- poraire de Nijni-Novgorod, on voulait lui offrir un banquet d’adieu : « Je vous remercie du fond du cœur, a-t-il répondu aux délégués qui lui appor- taient l’invitation ; mais je trouve que la Russie n’a pas besoin de ces mani- festations solennelles ; elle a besoin de travailler et de prospérer, car vous savez que, malgré tout ce qui a été fait, il reste beaucoup à faire. »

Est-ce que ces simples paroles n’eussent pas remplacé avec avantage une partie au moins des discours prononcés à propos de l’inauguration de Montbéliard ?

La Nouvelle Revue (Octobre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.