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Révocation d’un magistrat

Lundi 15 mars 1880 ♦ Actualité

La cour de cassation vient de faire un exemple qui portera certainement ses fruits et qui, nous l’espérons, deviendra pour elle-même la règle de sa conduite dans tous les cas analogues. Elle a frappé de déchéance un magistrat pour avoir oublié la déférence et le respect que, plus que personne, les représentants de la justice doivent au gouvernement de la République.

Le cas, il est vrai, était d’une gravité et, l’on peut ajouter, d’une audace toutes particulières. M. Nourry, juge suppléant au tribunal civil de Niort et maire de la commune de Sainte-Pezenne, avait prêté son concours actif à l’organisation d’une conférence de M. Chesnelong contre les lois sur l’enseignement ; il avait également figuré parmi les promoteurs d’un banquet donné à la suite de cette conférence. Révoqué pour ce double fait de ses fonctions de maire, il avait adressé au préfet des Deux-Sèvres une lettre dont chaque ligne était un insultant défi jeté à l’administration et aux institutions du pays. Et pour que rien ne manquât à cet acte de révolte déclarée, il avait ajouté à côté de sa signature sa qualité de juge suppléant. Il faut citer un passage de cette lettre pour bien faire apprécier jusqu’où peut aller l’aberration de la passion politique chez un homme qui ne devrait être que le ministre de la loi. Après s’être vanté de la part qu’il avait prise au pétitionnement contre les projets de loi Ferry et à la conférence de M. Chesnelong, M. Nourry ajoutait : « ...Enfin, citoyen, j’ai pris part au dîner offert à celui qui vous a tant effrayé, et après son toast « à l’Église, à la France », je me suis promis d’être un de ces soldats devant lutter jusqu’à la conquête de la liberté pour l’Église, du souverain légitime pour la France. Croyez, monsieur îe préfet, que, même une préfecture, ne me rendrait pas républicain. »

Il était impossible de ne pas frapper d’une éclatante condamnation un pareil langage, aggravé encore par cette circonstance que M. Nourry avait lui-même livré sa lettre à la publicité dans les colonnes d’un journal réactionnaire. Aussi, l’arrêt qui l’a expulsé des rangs de la magistrature française a-t-il rencontré une approbation unanime, non pas seulement dans le parti républicain, mais parmi tous ceux qui ont à cœur l’honneur de cette magistrature et le respect de la justice. La cour de cassation s’est honorée et ai rendu un grand service pubic en remettant en vigueur cet axiome proclamé en 1832 par M. Dupin : « Les magistrats sont inamovibles ; mais l’inamovibilité ne veut pas dire l’impunité. »

II était temps que cette leçon fût donnée.

La Nouvelle Revue (Mars 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.