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Réorganisation de l’état-major de l’armée

Jeudi 1er avril 1880 ♦ Actualité

En 1868, notre attaché militaire à Berlin, le colonel Stoffel, terminait par ces mots un rapport adressé au ministre de la guerre : « Méfiez-vous de l’état-major prussien. »

Deux ans après, nous éprouvions toute la sagesse de ce conseil.

Aussi, après la guerre, la pensée des législateurs chargés de la réorganisation de l’armée se porta-t-elle spécialement vers l’état-major.

Sur la question de principe, on tomba assez facilement d’accord. La différence entre les deux systèmes français et allemands était facile à saisir.

Dans le système français, l’état-major formait un corps absolument fermé. Pour y entrer, il fallait subir des examens et il y avait là incontestablement une garantie de travail et de capacité. Mais une fois cette épreuve subie, l’officier faisait pour toute sa vie partie de l’état-major.

De là, deux inconvénients évidents : 1° on ne permettait pas l’entrée aux officiers qui, dans les divers grades et dans les diverses armes, faisaient preuve de capacités exceptionnelles ; 2° on n’obligeait pas à sortir les officiers admis dans l’état-major au début, dont le zèle se ralentissait.

Le système allemand était tout autre.

Il n’admettait pas un corps, mais un service d’état-major ouvert à tous les officiers de l’armée sortis de l’Académie de guerre de Berlin. Ces officiers ne restaient dans l’état-major qu’un certain temps, et rentraient dans les différentes armes, pour reprendre ensuite leur service.

De là, la nécessité d’une assiduité constante, d’un travail permanent, car il était toujours permis de ne rappeler que ceux-là seuls qui, par leur travail et leur assiduité, se maintenaient à la hauteur des fonctions qu’ils étaient appelés à remplir.

La supériorité de ce système était si évidente, que l’organisation prussienne fut dès le premier jour, on peut le dire, adoptée par la grande majorité.

Mais, le principe admis, toutes les difficultés n’étaient pas résolues : il s’agissait d’arriver à la pratique, et ici les divergences s’accentuaient.

Depuis la guerre jusqu’à ce jour, plus de vingt projets différents ont successivement été présentés.

Il fallait mettre un terme aux discussions qui n’étaient sans doute pas inutiles, mais qui avaient le tort grave de retarder une solution jugée indispensable par tout le monde et de placer les officiers du corps d’état-major dans une situation vraiment intolérable.

Le ministre de la guerre, usant d’un droit que lui donnaient les règlements des deux Chambres, fit procéder à la nomination d’une commission mixte composée de membres du Sénat et de la Chambre des députés, et il soumit à cette commission un projet nouveau qui pouvait être considéré comme une transaction entre les deux textes successivement adoptés par les deux Chambres.

Cette nouvelle rédaction a été votée d’abord par le Sénat et ensuite par la Chambre des députés, de telle sorte que l’on a obtenu en quelques heures le résultat vainement poursuivi depuis neuf années : nous avons aujourd’hui une loi d’état-major.

Peut-on dire que cette loi soit parfaite, et ne soulève aucune critique ?

Ce serait là, évidemment, une exagération.

Mais, du moins, si l’œuvre est incomplète, elle existe ; elle met fin à cette incertitude regrettable qui pesait si lourdement sur notre organisation tout entière.

Enfin, les règles essentielles sont observées.

Il faut se contenter de ce résultat. Si l’œuvre n’est pas parfaite, nous le répétons, du moins elle est perfectible et l’expérience indiquera les modifications à introduire.

La loi votée, le ministre de la guerre a agi avec une résolution qu’il faut d’autant plus remarquer qu’elle est assurément moins commune.

Le lendemain même de la promulgation de la loi, il a adressé au président de la République son rapport suivi d’un décret, aux termes duquel une commission était instituée pour procéder, conformément aux stipulations de la loi, à la répartition-des officiers dans les différentes armes.

Le jour même où ce décret était publié, la répartition était opérée par voie de tirage au sort.

Aujourd’hui donc, le corps d’état-major a cessé d’exister.

Il reste à organiser le service nouveau, et tout indique que l’organisation adoptée par. le Parlement sera effectuée avec la même résolution que le ministre a apportée dans l’accomplissement de la première partie de sa tâche.

La Nouvelle Revue (Avril 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.