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Réforme de l’enseignemlent classique

Mercredi 1er septembre 1880 ♦ Actualité

Un arrêté du ministre de l’instruction publique a fixé le plan d’études et les programmes de l’enseignement secondaire classique dans les collèges et les lycées. L’esprit dont s’est inspiré ce travail, d’après les décisions récentes du conseil supérieur, mérite qu’on le résume. La question est devenue d’intérêt général ; l’expérience qui va se faire touche à l’avenir même de la génération par laquelle elle doit commencer, et l’Europe en suivra les résultats d’un regard attentif.

Dans tout le cours des études et dès les premières classes, l’enseignement aura pour objet de développer le jugement de l’enfant en même temps que sa mémoire et de l’exercer à exprimer sa pensée.

Dans l’étude de la grammaire, l’élève aura entre les mains, pour chaque période et pour chaque langue, une grammaire proportionnée à son âge et à ses connaissances.

On mettra fin à l’abus des analyses grammaticales écrites et, en général, à l’abus de tous les devoirs écrits, qui peuvent, avec plus d’avantage, être remplacés par les exercices oraux ou au tableau, les interrogations, les lectures expliquées et commentées.

La grammaire latine employée dans les classes de la seconde période devra être également très simple. Pour le latin, et plus tard pour le grec, on fera sortir successivement les règles des textes classiques, au lieu d’aborder ces textes après avoir presque épuisé le formulaire des règles abstraites. Le but principal est la version ; le thème doit être surtout considéré comme moyen de vérification. Le thème oral, fait en classe, sous la direction et avec la participation du maître, devra donc, dans toute la série des études, être associé au thème écrit, fait par l’élève, isolément et à tête reposée.

Tout ce qui contribuera à accroître la somme de travail accompli en commun, dans la classe même, avec l’active et incessante collaboration du maître, sera considéré comme un avantage et un progrès ; cette observation s’applique particulièrement aux jeunes enfants. Les élèves, à mesure qu’ils avancent en âge, ont moins besoin d’être guidés pas à pas et soutenus. Il convient de les habituer de plus en plus à faire des efforts personnels.

L’explication approfondie des textes prendra désormais la plus grande place dans les études littéraires ; c’est par eux que l’on pénétrera directement dans le génie des langues et des civilisations anciennes. Mais, une fois que l’on possédera suffisamment l’intelligence de la langue latine, il paraît utile que l’élève traduise quelquefois ses idées en latin. En conséquence, les narrations latines de la classe de seconde et les discours latins de la classe de rhétorique seront remplacés par des compositions latines plus courtes, sur des sujets plus variés, à des intervalles moins rapprochés.

Les compositions françaises, distribuées et graduées dans les diverses classes, ne seront plus uniquement des narrations, des discours ou des lettres. Tous les sujets propres à entretenir l’habitude de la réflexion, à former le goût, à fortifier le jugement, seront utilement employés aux exercices de la classe. Ils seront surtout littéraires en rhétorique.

Le mot à mot écrit, dont on abuse pour les textes latins ou grecs, ne devra être exigé, même dans la division de grammaire, que par exception, et pour un petit nombre de passages.

Il conviendra de restreindre sensiblement l’usage des dictionnaires beaucoup trop détaillés et trop complets, qui dispensent les élèves de bien des efforts ; des lexiques devront suffire. L’usage de bonnes traductions françaises sera admis pour l’étude des textes.

L’exercice du vers latin, tel qu’il a été pratiqué jusqu’ici, est supprimé. On y substituera l’étude plus complète de la métrique. La métrique et la versification française seront désormais l’objet d’une étude moins superficielle. L’exercice facultatif du vers latin pourra être conservé, pour quelques élèves d’élite.

Quant à renseignement de l’histoire, on a été d’accord pour admettre qu’il devait tendre, surtout dans les hautes classes, à développer la connaissance des institutions, des mœurs et des usages, en faisant pour les menus événements et le détail des faits de guerre quelques sacrifices inévitables. L’histoire de France, en particulier, devra mettre en lumière le développement général des institutions d’où est sortie la société moderne ; elle devra inspirer le respect et l’attachement pour les principes sur lesquels cette société est fondée.

Les rédactions devront être réduites en étendue. Les développements oraux et les interrogations occuperont la plus grande place dans l’enseignement de toutes les classes. Les élèves pourront même être exercés, en classe, à la discussion des faits historiques susceptibles d’être controversés ou appréciés diversement.

La tendance de cette réforme, nous l’avons dit dès le premier jour, va très loin ; matériellement, elle se réduit à peu de chose. Beaucoup dépendra donc de la manière dont elle sera comprise et appliquée, de la direction personnelle, des qualités du professeur. C’est au fait seulement qu’on pourra reconnaître l’ouvrier et juger l’œuvre. Mais, par cela même, il importait que l’esprit de celle-ci fût bien connu.

La Nouvelle Revue (Septembre 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.