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Projet de canal maritime allant de Bordeaux à Narbonne

Jeudi 15 avril 1880 ♦ Actualité

Un des membres les plus éminents du Sénat, M. Duclerc, vient de faire distribuer à ses collègues du Parlement le projet d’une vaste entreprise nationale que lui a inspiré son patriotisme et son amour pour la grandeur de la France. Dans un exposé, peu étendu, mais dont chaque mot est un argument irréfutable, M. Duclerc propose à l’activité de la nation le percement d’un canal maritime à grande section qui, allant de Bordeaux à Narbonne, mettrait directement l’Océan en communication avec la Méditerranée. Il est peu de personnes, pensons-nous, qui, au simple énoncé de cette proposition, n’en reconnaissent immédiatement toute la valeur et la nécessité. Aussi, M. Duclerc n’a-t-il pas eu besoin de pousser bien loin la discussion, dans les considérations générales dont il a fait précéder son travail, pour persuader le lecteur. Il lui suffit de faire remarquer que, sur le terrain des intérêts économiques, la France est menacée par d’ardents rivaux qui tendent à lui enlever une partie des avantages que Jui assurait jusqu’ici sa position centrale au milieu du vieux monde. Les véritables vainqueurs de la dernière guerre d’Orient, l’Allemagne et l’Autriche, s’avancent l’une à la suite de l’autre vers la mer Égée, et bientôt les communications par chemins de fer seront solidement établies de Berlin à Salonique. Sur un autre point, dans une direction parallèle, l’Allemagne perce les Alpes au Saint-Gothard pour arriver à l’Adriatique, tout en agrandissant ses canaux, du Danube au Rhin, pour les rendre accessibles à la grande batellerie.

Lorsque l’isthme de Panama sera à son tour ouvert à la navigation, grâce aux efforts de l’illustre promoteur du canal de Suez, deux grands courants commerciaux s’établiront en Europe, au détriment de la France qui restera isolée. En outre, — les guerres de ce siècle l’ont péremptoirement démontré, — l’obligation où nous sommes de couper notice armée navale en deux et de renoncer à une action unique, est pour nous une grande cause de faiblesse. Il faut donc que la France soit reliée intérieurement d’un littoral à l’autre et continue à être le centre du transit de l’Europe avec le reste du monde. Un canal maritime à grande section, allant de Bordeaux à Narbonne, lui conservera ce privilège.

M. Duclerc ne s’en est pas tenu à la seule indication du moyen de prévenir la situation défavorable qui pourrait menacer la France dans un avenir assez rapproché. Il a voulu établir la possibilité pratique de construire le canal. Il en a confié les études préliminaires à un ingénieur, M. de Lépinay, dont la compétence en ces matières a été hautement appréciée lorsqu’on a discuté à Paris les divers tracés du canal de Panama. C’est donc un avant-projet, très détaillé, mûrement combiné, que M. Duclerc soumet au jugement de ses collègues et de l’opinion publique.

La voie conçue par M. de Lépinay partirait du troisième bassin à flot de Bordeaux et longerait la Garonne jusqu’à Toulouse, pour venir aboutir, après un parcours de 406 kilomètres, à l’ancien port de Narbonne, auquel des travaux d’appropriation rendraient l’accès de la mer. La profondeur, la largeur et la longueur des écluses seraient établies en vue du passage des plus gros cuirassés et des plus forts transatlantiques. Avec une vitesse moyenne les navires franchiraient le canal en quarante-huit heures, gagnant, par cette voie, trois à quatre jours sur le trajet parle détroit de Gibraltar. La construction du canal, qui né rencontrerait aucune sérieuse difficulté d’exécution, coûterait 550 millions, d’après des évaluations très exactement établies. Il n’y a rien, dans ce chiffre, qui puisse décourager aujourd’hui.

Les avantages que le pays est destiné à retirer de cette entreprise sont trop considérables, à tous les points de vue, pour que le gouvernement ne se préoccupe pas d’en assurer immédiatement l’exécution. Quel en sera le mode ? M. Duclerc, qui a fondé une société d’études, est prêt à remettre au ministère le résultat de ses recherches, si celui-ci veut se charger directement des travaux. Sinon, il n’hésitera pas à entreprendre lui-même la tâche, certain que le concours ne lui fera pas défaut. Quel que soit le résultat, une chose restera acquise à l’honorable sénateur : la reconnaissance de tous pour la patriotique initiative qu’il vient de prendre.

La Nouvelle Revue (Avril 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.