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M. le duc d’Audiffret-Pasquier à l’Académie française

Lundi 1er mars 1880 ♦ Actualité

Le 22 mai 1872, M. le duc d’Audiffret-Pasquier, président de la commission des marchés, prononçait son fameux discours en réponse à l’interpellation de M. Rouher.

Il y a de cela huit ans déjà, et cependant il semble qu’on entende encore les éclats vengeurs de cette verve indignée, de cette nerveuse et patriotique éloquence cinglant ses coups répétés au visage des auteurs de nos désastres.

Le lendemain, M. d’Audiffret-Pasquier, dont l’honorable notoriété n’avait pas encore dépassé le cercle étroit des salons orléanistes, était célèbre, mieux que cela, populaire. Pendant de longs mois il fut l’homme du jour, dans toute la France comme à Paris, à l’étranger même comme en France.

Mais ce n’est pas tout. Assurément nous ne voulons pas soutenir que l’orateur inspiré qui sut si bien se faire, en une mémorable circonstance, l’interprète de la conscience publique, soit dépourvu des principales qualités de l’homme d’État ou de l’homme d’affaires. On nous accordera toutefois que, s’il fut nommé successivement président de la Chambre des députés et président du Sénat, il ne le fut qu’à cause de son célèbre et magnifique discours de 1872. C’est également, c’est même uniquement, personne non plus n’y contredira, parce qu’il a prononcé ce discours que, le 19 février 1880, il avait l’honneur d’être reçu membre de l’Académie française.

Donc l’autre jour, par une assez triste, après-midi de février, il nous a été donné de voir, sous la coupole vénérable du palais Mazarin, M. le duc d’Audiffret-Pasquier, revêtu de l’habit légendaire à palmes vertes et flanqué des illustres immortels qui signent en ce monde Doucet, Caro, Viel-Castel et d’Aumale, lisant son discours de réception. Certes, nous ne poussions pas précisément la naïveté jusqu’à demander au récipiendaire une deuxième édition de sa fameuse philippique, mais nous avouons que notre surprise a été grande en voyant le noble duc saisir bravement, généreusement, cette occasion pour célébrer deux heures durant, dans le style qu’on appelle académique, peut-être parce qu’on serait embarrassé de lui donner un autre nom, l’esprit de tolérance, l’aménité, la douceur du plus fougueusement intolérant, du plus intraitable prélat qui porta jamais la soutane à boutons violets. Chemin faisant, l’orateur dit son fait à Jean-Jacques Rousseau, raille agréablement l’illustre M. Thiers et couvre de fleurs M. de Falloux, cette fuyante figure, devenue pour la circonstance « en France et dans l’histoire contemporaine, synonyme de la droiture, de l’éloquence et du courage ».

Et pendant que le récipiendaire débitait sa harangue d’une voix plus forte qu’agréable, malgré nous notre pensée se reportait à la glorieuse séance du 22 mai 1872. Quoi ! C’était le même homme qui, ce jour-là, faisait vibrer dans le cœur de milliers de Français les fibres les plus délicates de l’enthousiasme, de l’honneur, de l’amour du pays! C’est à lui que nous avions dû, nous tous, les vaincus, les victimes de l’Empire, ces heures de fièvre généreuse qui font oublier des années de colère stérile et d’humiliation !

Quand le récipiendaire eut terminé, une voix^dit : « Allons! il était écrit que M. le duc d’Audiffret-Pasquier ne ferait qu’un discours dans sa vie ! »

M. de Viel-Castel, directeur de l’Académie française, a ensuite pris la parole pour la réponse d’usage. Ce second discours, lu sans grand éclat, a été accueilli sans grand enthousiasme. La voix de l’orateur, peu intelligible, n’était pas faite d’ailleurs pour ranimer l’attention de l’auditoire. Peut-être aussi, la chose est possible, le sujet n’avait-il point suffi à inspirer le savant académicien. Après avoir entendu pour la deuxième fois le portrait de l’évêque d’Orléans,— un portrait plus ressemblant que le premier, il est vrai, — arriva le moment d’écouter l’éloge du récipiendaire, et l’énumération de ses titres littéraires !

Dans ce discours de M. de Viel-Castel on ne trouvera peut-être pas grand relief, ni de hien vives couleurs ; mais on y trouve une grâce facile, élégante, et, chose curieuse ! on y chercherait en vain ces traits malicieusement aiguisés, ces jolies perfidies qui sont, à l’Académie, le comble de l’art et le régal des belles dames, des aimables vieillards et des jeunes gens naïfs, public habituel de ces « fêtes de l’intelligence ».

La Nouvelle Revue (Mars 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.