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La température s’est montrée d’une rigueur particulièrement tenace

Jeudi 1er janvier 1880 ♦ Actualité

Le mois de décembre 1870 a réalisé jusqu’à ses derniers jours les menaces de son début. Du 4 au 28, la terre est restée couverte de couches de neige durcie, les canaux gelés et aussi la plupart des rivières et des fleuves ; la Saône et le Rhône ont même été pris, à Lyon, où la température s’est montrée d’une rigueur particulièrement tenace. Les communications par eau n’existaient plus; sur les routes de terre elles étaient à peu près nulles ; les chemins de fer, demeurés l’unique moyen de transport, ont eu eux-mêmes à lutter contre des difficultés qui les paralysaient en partie, alors qu’ils devaient faire face à un trafic triplé et quadruplé par les circonstances. Presque toutes les grandes lignes ont dû supprimer un certain nombre de trains de voyageurs, pour concentrer leurs moyens de traction sur les marchandises. Cet état de choses-se compliquait encore des obstacles qu’opposait aux charrois l’état des rues dans les villes, à commencer par Paris même, en dépit de 1’effort déployé et de l’argent dépensé pour opérer le déblaiement.

Cette terrible saison a couronné cruellement une année déjà marquée par l’épreuve d’une mauvaise récolte. Pour le commerce, elle s’est traduite par des pertes énormes ; pour la classe ouvrière, par des souffrances qui s’aggravaient en se prolongeant et dont la petite bourgeoisie elle-même a eu sa part. Le renchérissement continu de toutes choses, résultat inévitable de l’irrégularité des approvisionnements, coïncide en effet avec des besoins plus grands, en même temps qu’avec le ralentissement des affaires pour les uns, la cessation partielle ou totale du travail pour les autres. Le cercle des détresses est allé s’élargissant chaque jour.

Il est du moins consolant de pouvoir dire que la sollicitude et la générosité publiques grandissent en proportion et se manifestent avec une efficacité dont on ne saurait trouver l’exemple à aucune autre époque, ni dans aucun autre pays. Loin de se ralentir, l’admirable élan que nous signalions il y a quinze jours n’a fait que prendre un essor nouveau. Au secours de cinq millions voté par les Chambres, sont venus se joindre des fonds extraordinaires votés par les municipalités et l’appoint de souscriptions ouvertes en permanence presque partout et dont le produit, distribué directement ou versé aux bureaux de bienfaisance, s’élève quotidiennement à des chiffres considérables. De nombreuses œuvres de secours organisées par des particuliers contribuent, de leur côté, à soulager bien des misères. Comme toujours, Paris, en dépit de sa réputation d’insouciance et de frivolité, marche à la tête de ce mouvement de sympathie fraternelle. Après avoir, dans une nuit, versé une recette de trois cent mille francs à la fête donnée au profit des inondés espagnols et des pauvres parisiens, il grossit chaque soir de plusieurs milliers de francs l’encaisse de l’Assistance publique. Quant aux actes de bienfaisance et de largesse individuelles, ils ne se comptent plus.

Par un phénomène que la science météorologique n’a pas encore expliqué, les pays favorisés en général du climat le plus doux ont été les plus rudement atteints par cet hiver insolite. Tandis que les contrées du Nord jouissaient d’une saison relativement douce, l’Italie et l’Espagne subissaient un sort analogue au nôtre.

Puisse le dégel qui s’est déclaré depuis deux jours ne pas remplacer un malheur par un autre, et puisse l’année qui commence nous dédommager des épreuves de celle qui finit !

La Nouvelle Revue (Janvier 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.