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La France compte une colonie de plus

Mercredi 15 septembre 1880 ♦ Actualité

La France compte une colonie de plus.

Au moment où rien de particulier n’attirait l’attention publique sur nos établissements de l’Océanie, la nouvelle est venue nous surprendre que Tahiti et ses dépendances, qui depuis quarante ans vivaient en paix sous notre protectorat, s’étaient définitivement données à notre drapeau. Le roi Pomaré V, après avoir pris l’avis de ses chefs et de concert avec eux, a signé l’acte de cession des îles à la France et en a fait solennellement la remise au commissaire du gouvernement.

Cette annexion toute pacifique s’est accomplie d’une façon amenée pour ainsi dire par la force des choses. Les bons résultats de notre intervention dans les affaires des indigènes, le soin que nous avions toujours pris de respecter leurs propriétés, de ne restreindre en rien leurs libertés, de ne porter par une fausse hypocrisie aucune atteinte à leurs mœurs, nous avaient depuis longtemps concilié leur affection et attiré leur reconnaissance. Pour qui connaît le caractère essentiellement doux et sympathique de ces populations, il n’est pas difficile de comprendre qu’elles se soient identifiées avec la nature et les institutions de la colonie française qui grandissait progressivement autour d’elles, et qu’elles aient de plus en plus subi l’attraction de la race supérieure qui ne s’imposait que par des bienfaits. La réunion de Tahiti à la France n’a donc été, de la part des naturels, qu’une formalité d’autant plus facilement accueillie qu’elle substitue à notre appui bienveillant les garanties de nos lois.

Il n’en faut pas moins louer le gouvernement de la République et ses agents d’avoir su amener cette fusion, sans froissements d’intérêt, sans susciter des jalousies et sans exciter d’envies. Le développement que prennent dans ces mers lointaines les transactions du commerce et les intérêts politiques respectifs poussent les nations maritimes à s’y établir d’une façon permanente, dans les meilleures conditions. Les grandes voies de navigation déterminent sur les vastes Océans de cette partie du globe des points de relâche d’une importance capitale dont la possession est déjà, — et sera bien plus encore, — une source de puissance et de richesses pour les peuples qui ont la sage pensée de les coloniser. Tahiti, à cet égard, peut être considérée comme une des stations les plus avantageuses de tous les archipels océaniens. Elle est merveilleusement située sur la ligne qui unit l’Amérique au continent australien et formera plus tard, avec la Nouvelle-Calédonie et nos colonies des Antilles, quand l’isthme américain sera percé, une étape de premier ordre sur une route essentiellement française, c’est-à-dire éminemment favorable au commerce et au progrès. C’est ainsi que l’a compris l’Europe ; elle a franchement accepté l’installation définitive de la France sur un point qui, en toute autre occasion, aurait peut-être été un motif de compétitions ardentes. Il n’y a pas d’exagération à dire que c’est là une victoire remportée par l’esprit de modération et de conciliation, devenu aujourd’hui la politique principale de notre pays.

La Nouvelle Revue (Septembre 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.