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Interrègne parlementaire

Mercredi 1er octobre 1879 ♦ Actualité

L’interrègne parlementaire est marqué en France, cette année, par un sentiment de profond repos depuis longtemps inconnu. Le contraste est frappant avec l’état de soubresaut et d’inquiétude fébrile où nous avions coutume de vivre. Les semaines se succèdent paisiblement, exemptes d’incidents, libres d’émotions, au sein d’un calme de bon aloi qui n’a plus rien de commun avec l’abandon de soi-même auquel se laissent aller les peuples aux jours de lassitude ou de despotisme. Sous la tranquillité générale, on sent très bien que la vie publique est non pas éteinte, mais simplement suspendue par un relâche salutaire, et qu’elle reprendra toute sa plénitude quand le moment sera venu. C’est la constatation la plus éclatante et la plus heureuse de la confiance conquise par le régime républicain, même dans l’esprit de ceux qui le nient le plus obstinément, depuis qu’il est sincèrement constitué. Un pays n’arrive à ce degré de sécurité que lorsqu’il cesse d’avoir l’appréhension du lendemain et la peur de l’inconnu.

Il y a donc fort peu à glaner dans le champ des faits quotidiens. Les ministères n’ont pas quitté Paris, mais les ministres sont partout ailleurs. Les uns voyagent pour leur plaisir et à leur guise, comme MM. Le Royer et Lepère. D’autres combinent le soin des affaires avec leurs excursions. M. le général Gresley accomplit, dans un strict incognito, sans tambours ni clairons, une importante tournée d’inspection, dont on parle à peine, mais dont on parlera peut-être beaucoup dans quelque temps. M. Jules Ferry parcourt plus officiellement les villes du Midi, pour se rendre compte de ce qui peut lui rester à faire en vue du perfectionnement des études et recueille au passage des manifestations en faveur de son article 7.

Pendant ce temps, le président de la Chambre des députés, après avoir passé à Ville-d’Avray la première partie de ses vacances, se dispose à aller les achever en Suisse. Quant au président de la République, c’est encore celui de tous qui fait le moins parler de lui. Il est parti, un matin des premiers jours de septembre, non pour une des résidences entre lesquelles le domaine national lui offrait rembarras du choix, mais pour le modeste domaine personnel qu’il possède dans le Jura. Il s’est rendu à la gare comme un simple citoyen, et comme un simple citoyen il est parti par le train de tout le monde. L’unique ovation à laquelle il ait consenti lui a été faite par les habitants du village qui avoisine sa propriété, et la seule harangue qu’il ait voulu entendre a été la naïve allocution d’un écolier, à laquelle il a répondu en enlevant de terre l’orateur pour l’embrasser. Depuis lors, on n’a de ses nouvelles que par les décrets insérés au Journal officiel et datés de Mont-sous-Vaudrey, un nom de localité qui ne s’attendait pas à l’honneur de figurer dans l’histoire.

On affecte, dans certains cercles politiques, de hausser les épaules devant cette simplicité républicaine ; on essaie même de faire entendre à demi-mot que jamais un gouvernement ainsi représenté n’aura la confiance, les égards, ni surtout l’alliance des puissances monarchiques. C’est l’argument du dépit, et d’un dépit peu patriotique qui, à bout d’autres raisons, va sans cesse, chercher sa force contre la République dans les prétendus mécontentements de l’étranger. Nous n’aurions pas besoin de remonter bien haut dans notre histoire pour montrer ce que valent, à l’heure des revers, les démonstrations, de sympathie échangées entre souverains au milieu des splendeurs d’une cour impériale. Un avenir prochain dira peut-être de quel poids peut peser, dans la balance des relations internationales, l’estime conquise parla dignité sans apparat d’un chef d’État citoyen.

Au dehors comme au dedans, l’attitude de M. Grévy est une des forces de la République, et ceux qui essaient de la critiquer le sentent mieux que, personne.

La Nouvelle Revue (Octobre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.