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Hiver précoce et terrible

Lundi 15 décembre 1879 ♦ Actualité

L’hiver s’est déclaré, hiver précoce et terrible, dont les débuts ont partout jeté la perturbation et provoqué des misères sans nom. Depuis dix jours, Paris et les deux tiers de la France sont ensevelis sous la neige. Les communications, après avoir été complètement interrompues, se rétablissent péniblement sur les chemins de fer, sur les routes principales et dans les villes ; pour les campagnes, il se passera des semaines, des mois peut-être en certains endroits, avant qu’elles ne reprennent un cours à peu près régulier. Le travail est suspendu pour une foule de professions ; pour d’autres, il n’est plus qu’intermittent. Le commerce est profondément atteint par les difficultés de la circulation, et cela au moment de l’année où son activité devrait être la plus grande. En un mot, la vie extérieure est presque paralysée. Comme conséquence falale, la détresse entre partout où le salaire quotidien est la condition d’existence, détresse d’autant plus affreuse qu’elle se complique de l’enchérissement de toutes choses et des souffrances physiques que vient ajouter aux privations la rigueur même de la saison.

L’étendue et la soudaineté de ce malheur ont eu du moins pour effet d’éveiller simultanément chez tout le monde le sentiment d’un grand devoir à remplir. Nous assistons au spectacle d’un élan sans exemple. Tandis que la générosité privée prodigue l’aide sous toutes les formes, le gouvernement a demandé et les Chambres ont voté sans marchander un crédit de 5 millions, à titre de secours d’urgence, à répartir entre la capitale et les départements. La loterie autorisée pour les inondés de Murcie, dont le capital était de 2 millions, a été portée au double, afin de donner aussi 2 millions aux pauvres de France ; et, comme la misère ne peut attendre la vente des billets, moitié de la somme a été immédiatement avancée par un comité de négociants. Le conseil municipal de Paris a prélevé, à son tour, sur le budget de la ville, un subside de 500,000 francs, dont remploi a été admirablement réglé. Un mot plein de grandeur et d’à-propos a été prononcé à cette occasion parle président de ce. conseil, M. de Heredia. En invitant ses collègues à voter la proposition qui leur était soumise, il a invoqué, non pas la charité, mais la « solidarité humaine ». Ce terme a éveillé nous ne savons quelles susceptibilités et suscité d’inexplicables récriminations de la part de quelques journaux. Nous trouvons, au contraire, que jamais expression n’a été mieux à sa place. Ce serait amoindrir l’acte de secours public qui s’organise de toutes parts, ce serait le rendre humiliant pour ceux qu’il s’agit de secourir, que d’en faire un acte de pure charité. Dans son inspiration comme dans sa réalisation, c’est bien réellement un acte de secours mutuel, d’assistance nationale, comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur à la tribune de la Chambre, un acte de solidarité par conséquent. M. de Heredia n’a été que l’interprète de la vérité en évoquant cette grande et noble idée qui fait l’honneur, comme elle fera la force, de notre société moderne.

La Nouvelle Revue (Décembre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.