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Grève à Paris

Vendredi 1er octobre 1880 ♦ Actualité

Après les grèves de la province, en voici une à Paris même, d’un caractère particulier et entourée de circonstances complexes.

L’ébénisterie, qui occupe dans l’industrie parisienne une place considérable, traverse une crise grave, déterminée en premier lieu par l’attitude d’un certain nombre d’ouvriers envers les maisons qui les employaient, attitude à laquelle vient de répondre la détermination des patrons de fermer leurs ateliers.

Depuis quelque temps déjà, de vifs tiraillements mettaient en souffrance les intérêts des deux parties. Lors d’une première grève, au mois de juillet dernier, une entente rapide s’était faite entre bon nombre de maisons et leurs travailleurs. Quelques fabricants néanmoins s’étaient refusés à répondre entièrement aux demandes de leurs ouvriers, et s’étaient vus mis à l’index par la commission exécutive qui dirigeait le mouvement. Des grèves éclataient à chaque instant dans les ateliers qui résistaient aux nouveaux tarifs ; une quarantaine, établie autour d’eux et soigneusement gardée, empêchait les rentrées.

Cette situation ne s’étendait pas à l’industrie entière ; sauf quelques groupes d’ouvriers en lutte avec leurs patrons, la majorité travaillait régulièrement, se bornant aux secours pour les grévistes que leur impose la solidarité.

Pour mettre un terme à la crise qui pouvait durer et s’étendre, les patrons se réunirent, proposèrent une augmentation qui ne devait point dépasser 10 p. 100, et, comme garantie que cette augmentation ne serait pas retirée plus tard, s’engagèrent à laisser dans l’atelier, à la disposition des ouvriers, un tarif signé par eux.

La commission exécutive a engagé les ouvriers à ne rien rabattre de leurs prétentions, mais à persister dans une demande d’augmentation de 15 p. 100. Les patrons, irrités par cette organisation particulière qui, selon eux, va jusqu’à vouloir leur retirer toute autorité dans leur propre maison, ont pris le parti de fermer les ateliers et de ne les rouvrir qu’aux travailleurs qui répudieraient par écrit toute relation avec la commission exécutive. A l’heure actuelle, plusieurs centaines de maisons ont ainsi suspendu ; trois mille ouvriers restent sans ouvrage. Les tentatives de conciliation ont échoué. Les grévistes se font forts de résister aux patrons trois mois, six mois même s’il le faut. Il est difficile de prévoir encore la transaction qui terminera le différend.

Les ouvriers congédiés sans avoir reçu au préalable leurs huit jours, suivant la règle établie, ont assigné devant le Conseil des prudhommes les chefs d’établissement ; ceux-ci ont répondu par une assignation aux ouvriers qui, pour obéir aux ordres de leur commission exécutive, ont de leur côté quitté les ateliers sans accomplir la même formalité. Le Conseil est saisi ; c’est à lui de déterminer, en prenant occasion de ce point spécial, la limite des concessions réciproques que, dans l’intérêt commun, doivent se faire les deux parties. Nous espérons que sa décision mettra fin à une situation qui, pour tous, s’est déjà trop prolongée et dont se préoccupe l’opinion.

La Nouvelle Revue (Octobre 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.