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Expositions artistiques

Lundi 1er décembre 1879 ♦ Actualité

L’hiver qui, cette année, ne se sera pas fait attendre longtemps, nous ramène, avec le retour des Parisiens et de nos hôtes habituels, des expositions artistiques qui tendent décidément à prendre place parmi les attractions favorites de notre capitale. Cette fois, c’est M. Eug. Feyen, le peintre attitré des plages bretonnes, qui ouvre le feu au Cercle artistique et littéraire avec ses 265 tableaux ou études peintes, une exhibition sérieuse, on le voit, et qui représente bon nombre d’années d’une laborieuse existence. Parmi nos peintres de marine, et la liste en est longue, nous n’en connaissons point qui ait saisi aussi complètement que M. Feyen la poésie particulière à ces mélancoliques côtes de Bretagne, et qui peigne d’un accent plus sobre et plus vrai ces intéressantes populations de Cancale et de Saint-Malo, si honnêtes, si intrépides, mais en même temps si tristes dans leur résignation avec leurs traits rudes et leurs sombres vêtements. Allez voir cette remarquable exposition et cherchez sur le panneau de gauche de la salle principale une toute petite toile, à peine aussi large que les deux mains, et qui porte, croyons-nous, le numéro 88 : trois femmes, debout au bord d’une valleuse, attendent avec anxiété le retour du hardi marin, sorti par un gros temps. D’une main tremblante, l’une des femmes, la plus Agée, tient la main de la plus jeune debout au premier plan, comme pour lui donner du courage ou lui en demander. Celle-ci, la femme du pêcheur sans doute, les yeux fixes et perdus dans l’espace, ne voit rien, ni l’échappée de mer couleur d’émeratide sous le sombre manteau des nuages, ni la falaise escarpée qui descend sous ses pieds jusqu’au rivage ; elle regarde droit devant elle, à l’horizon là-bas, elle regarde, elle attend. Impossible de s’arrêter, sans émotion, devant cette simple figure, si tragique sous sa mante noire. Quel poète, quel magicien que l’artiste à qui il suffit de quelques pouces carrés de toile et de cinq ou six tubes de couleur pour évoquer ainsi un drame de la vie réelle avec une intensité si pénétrante que les yeux du plus sceptique se mouillent involontairement !

La Nouvelle Revue (Décembre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.