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Décès d’Offenbach

Vendredi 15 octobre 1880 ♦ Actualité

La mort d’Offenbach, survenue presque inopinément dans les premiers jours du mois, a rencontré et conservera un retentissement de beaucoup supérieur au rang du compositeur dans le domaine de l’art. Son nom, en effet, évoque toute une période d’éclat et de popularité bruyante pour riiomme, de succès d’engouement pour sa musique, de frivolité tapageuse et d’oublieuse insouciance pour les rnœurs publiques de la France. Les Deux Aveugles, Bataclan, Orphée aux Enfers, la Belle Hélène, Barbe-Bleue, la Grande Duchesse, sont des titres qui n’appartiennent pas seulement au répertoire du théâtre contemporain ; quiconque entreprendra d’écrire l’histoire morale de notre époque, surtout de 1855 à 1870, devra s’y arrêter et s’en occuper.

Offenbach laisse, à tout prendre, un œuvre considérable par le nombre de pièces et un genre dont il fut le créateur, auquel son nom restera attaché. Il s’était fait dans l’opérette un domaine où d’autres l’ont suivi, sans le lui enlever ni même parvenir à le lui disputer. Il avait trouvé son véritable terrain ; c’est là qu’il a rencontré ses plus vives inspirations et ses plus grands triomphes. Les excursions qu’il a faites dans l’opéra comique ne furent jamais que des demi-réussites, comme Robinson Crusoé, Vert-Vert, Barkouf et Fantasio. Il était toutefois en train d’arriver à une sorte de style mixte, qui s’est manifesté dans Madame Favart et la Fille du Tambour-Major, lorsque la mort l’a frappé, encore en pleine vigueur de production, à l’âge de soixante ans.

Il laisse en préparation, au théâtre des Variétés, le Cabaret des Lilas ; à l’Opéra-Comique, les Contes d’Hoffmann ; une autre pièce à ia Renaissance.

Est-il juste, comme on semble porté à le faire, de ne voir en lui que l’initiateur et la personnification du temps qu’il a rempli du bruit de ses succès ? Ne mérite-t-il pas mieux que d’être représenté comme la cause et le symbole de l’affaissement social où était tombée la France sous l’empire ? Il nous semble plutôt n’en avoir été que le produit et l’expression. Séparée des textes excentriques et parfois insensés sur lesquels elle a été trop souvent brodée, sa musique garde deux qualités très personnelles, qui se fussent tout aussi bien appliquées à des œuvres moins énervantes pour le caractère national : l’inspiration et le talent. S’il y a des culpabilités à rechercher, au point de vue de la direction imprimée pendant un certain nombre d’années au goût et à l’esprit public, les auteurs des paroles qui ont inspiré les partitions, les théâtres qui ont monté les pièces, les spectateurs qui les ont accueillies et applaudies avec transport, doivent être mis en ligne de compte pour leur large part. Offenbach a été de son temps ; il ne l’a pas fait, et il mérite que l’on distingue, dans son œuvre, ce qui n’a été que l’exploitation de l’actualité, d’avec ce qui appartient au musicien de race.

La Nouvelle Revue (Octobre 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.