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Lettre de M. de Lesseps

Dimanche 1er février 1880 ♦ Actualité

En même temps que nous arrivait de New-York la nouvelle de la réception préparée à M. de Lesseps, nous recevions de M. de Lesseps lui-même la lettre suivante qui le montre plus confiant que jamais dans son entreprise :

« Colon, le 8 janvier 1880.

« Après mon arrivée ici, le 28 décembre,dans un magnifique port qui sera l’entrée de notre canal sur l’Océan Atlantique, je me suis dirigé par le chemin de fer, avec ma commission d’ingénieurs, vers Panama, en parcourant en trois heures, par une température de printemps, la plus belle région du monde, dont ni le pinceau ni la poésie ne peuvent décrire les splendeurs.

« A Panama, nous avons reçu un accueil enthousiaste,notre cher pavillon français flottait à, toutes les fenêtres. Voilà certainement une de nos bonnes revanches. Les fêtes ont duré trois jours.

« Cependant, au milieu des réjouissances publiques, nous n’avons pas négligé l’objet do notre mission. D’après un programme que j’ai présenti aux membres delà commission technique, les ingénieurs ont organisé les opérations de sondages, de nivellement, etc. Cinq brigades travaillent sur toute la ligne. J’ai parcouru hier tous les campements, de Panama à Colon, campements placés dans le voisinage du chemin de fer, dont les administrateurs venus de New-York nous ont généreusement offert la gratuité pour notre personnel et notre matériel.

« Nous avons descendu, pendant cinq heures, sous un soleil assez vif, la belle rivière Chagres dans des pirogues, ne rencontrant sur les bords que des caïmans endormis qui se réveillaient et fuyaient à notre approche. Le lit de cette rivière, que nous devons détourner, recevra en grande partie notre canal maritime, comme le lit du Rio Grande, sur l’Océan Pacifique, formera notre débouché dans la baie de Panama. — Entre les deux extrémités qui forment une suite de vallées, nous aurons à traverser le pic de La Culebra, dont le pied aura 13 kilomètres de longueur. Après-demain nous ferons sauter une mine sur le sommet (de 83 mètres), comme essai destiné à démontrer que l’on pourra faire de même jusqu’en bas.

« Nos ingénieurs trouvent les plus grandes facilités données par la nature sur un sol privilégié, et un concours complet de la part des habitants assez nombreux déjà établis dans d’anciens villages de nègres et d’indiens autour des stations du chemin de fer.

« J’ai reçu cette nuit l’hospitalité à bord d’un superbe paquebot à vapeur de New-York, dont le capitaine n’a pas voulu me laisser passer la nuit en ville avec mes compagnons. Ce paquebot, de 4,000 tonnes, est accosté au quai, et ses marchandises, qui débarquent d’un couloir sur le quai, tombent immédiatement dans les wagons qui doivent les transporter à Panama. Il n’y a pas de meilleures dispositions pour l’expédition des colis à Marseille, à Bordeaux et même au Havre.

« C’est en toute bonne foi que je déclare notre travail bien plus facile dans l’isthme de Panama que dans le désert de Suez, où il n’y avait ni port, ni eau, ni habitants, et dans un éloignement de 30 lieues de toute espèce de population.

« Je compte me rendre directement à New-York le 6 du mois prochain avec ma famille, — nous prendrons le chemin de fer jusqu’à San Francisco,— et nous reviendrons à New-York pour retourner en France par l’Angleterre.

« Je suis obligé de terminer brusquement ma lettre au courant de la plume, mes compagnons viennent me chercher.

« Tout à vous,

« Ferdinand de LESSEPS. »

La Nouvelle Revue (Février 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.