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Construction des bouches à feu de grandes dimensions

Mardi 15 juin 1880 ♦ Actualité

L’essai du canon de 100 tonnes du cuirassé italien Duilio a été, comme on sait, marqué par un grave accident. En dehors des tristes conséquences qu’il a eues et des dégâts qu’il a causés, cet accident a éveillé les plus sérieuses préoccupations, tant au point de vue de la construction des bouches à feu de grandes dimensions, qu’en ce qui touche plus spécialement leur emploi dans la marine.

Ce n’est pas qu’en lui-même le fait qui vient de se produire soit bien étonnant : le type des canons Armstrong, caractérisé par un tube peu épais en acier recouvert de frettes en fer appliquées les unes sur les autres sans adent, sans crochet, par le simple effet du retrait, serait tout naturellement appelé à donner naissance à des événements de cette nature. Outre que, dans le canon du Duilio, une arête de rupture était indiquée dans le tube au point où s’est produit le déculassement, il est probable qu’en raison de la différence d’élasticité entre le métal du tube et celui du corps de la pièce, une séparation a dù se produire après quelques coups entre ces deux parties et que le tube, résistant seul aux énormes effets de la poudre, n’a pu les supporter.

Mais c’est là précisément le grand danger de ces pièces composées de métaux de résistances différentes et dont il est presque impossible d’apprécier la qualité. Si l’on peut, en effet, produire de l’acier en petite masse, surtout sur de faibles épaisseurs, possédant l’homogénéité, la régularité de structure indispensable, si l’on est parvenu, après tant d’années de recherches constantes, à produire dans nos fonderies françaises la fonte en grande masse qui forme le corps de la plupart de nos grosses pièces d’artillerie, il en est tout autrement de l’acier. Nous ne parlons pas du fer des canons anglais, qui jamais ne pourra travailler dans les mêmes conditions que l’acier dont leurs tubes sont formés, mais de l’acier, qu’à la suite de l’usine Krupp, un grand nombre de pays tendent à adopter pour la fabrication des corps de canon. Irrégulier dans sa constitution moléculaire, dans ses facultés de résistance ou d’élasticité, l’acier en grandes masses ne peut être encore fabriqué, croyons-nous, dans des conditions de sécurité complète : on voit dans des blocs d’acier fondu et martelé la résistance à la traction très suffisante aux deux extrémités d’un lingot, diminuer de plus de moitié dans la partie du milieu. Continuera-t-on dans de pareilles conditions les coûteuses tentatives entreprises actuellement? C’est ce qui peut paraître douteux. Reviendra-t-on aux pièces à corps en fonte qui, avec des conditions complètes de sécurité, ne permettent pas, il est vrai, de réaliser des conditions balistiques aussi satisfaisantes que les autres ? C’est là une question que l’événement du Duilio et les faits récents constatés dans les différentes artilleries vont plus que jamais mettre à l’ordre du jour.

La Nouvelle Revue (Juin 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.