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Cinq nouveaux journaux

Jeudi 1er janvier 1880 ♦ Actualité

Cinq nouveaux journaux sont venus récemment grossir les rangs, déjà si serrés, de la presse parisienne. Dans ce nombre, on compte quatre feuilles quotidiennes : le Peuple français, le Gil Blas, l’Opinion publique et le Journal à un sou ; le cinquième parait hebdomadairement et a pour titre : La Rue. Au point de vue politique, le Peuple français est le seul qui n’appartienne pas à l’opinion républicaine ; il a repris la tradition, en même temps que le nom, de l’organe fondé par M. Clément Duvernois pour soutenir la cause de l’Empire, dans les derniers temps du règne de Napoléon III. Il a adopté le prix de 5 centimes, tout en prenant le format des grands journaux qui se vendent 15 centimes le numéro. Il en est de même de l’Opinion publique.

Une première tentative dans cette voie d’extrême bon marché, faite depuis plusieurs mois par le journal la Paix, a pleinement réussi. Les nouveaux venus rencontreront-ils le même succès ? Quel sera le résultat final de la concurrence qui va sans cesse multipliant à Paris le nombre des organes de la presse, alors que toutes les notes possibles de la gamme politique ont déjà deux échos pour un, et que la moitié au moins des feuilles existantes font notoirement de médiocres affaires ? Peut-être est-ce dans cette question que réside l’intérêt le plus réel des essais multipliés que nous constatons. Elle porte plus loin qu’on ne le croirait au premier abord. Paris est la seule des grandes capitales du monde qui offre le spectacle d’un tel concours de journaux se disputant l’attention et le patronage du public et faisant double, triple, quadruple emploi en matière d’opinions. Partout ailleurs, y compris Londres etNew-York, on ne compte guère plus d’un ou deux organes pour chaque parti. Il* s’agit de voir à la longue lequel des deux systèmes est le plus favorable à l’autorité de la presse, à l’agrandissement de sou rôle et à la sérieuse éducation politique du pays.

La création du Journal à un sou, qui paraît l’après-midi, constitue un essai dans une autre direction : il s’agit de savoir si la presse à cinq centimes, après s’être fait une si large part dans la publicité du matin, trouvera un égal empressement parmi les acheteurs du soir. Nous craignons que l’expérience ne tourne contre ceux qui la tentent. Les acheteurs de feuilles du matin se composent de tout le monde, parce que tout le monde peut prendre sur sa journée vingt minutes pour lire les nouvelles ou le roman qui l’intéressent. Le public du soir est infiniment plus restreint ; il a d’autres habitudes, d’autres goûts, et demande un autre ordre d’informations ; de plus, la question de bon marché est pour lui tout à fait secondaire. La tentative du Journal à un sou paraît donc avoir contre elle le grave inconvéniênt de ne répondre à aucun besoin et de chercher une place là où il n’y en a pas à prendre.

Cela n’empêche pas qu’on lui annonce déjà un imitateur. La Liberté, assure-t-on, adjoindrait prochainement à sa publication régulière une petite feuille qui [ui serait à peu près ce que le Petit Moniteur, le Petit National, la Petite République sont aux grands journaux du même nom. Mais, à la différence de ces divers satellites, qui sont tous étoiles du matin, celui de la Liberté s’intitulerait le Petit Journal du soir.

Ajoutons, enfin, qu’on donne pour certaine et très prochaine l’apparition de la République, ayant pour inspirateur M. Clémenceau, et celle du Réveil social, fondé sous les auspices de M. Louis Blanc.

La Nouvelle Revue (Janvier 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.