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Arrivée à Suez de M. de Nordenskiold

Jeudi 15 janvier 1880 ♦ Actualité

On annonce l’arrivée à Suez de M. de Nordenskiold, à bord de la Vega. L’illustre navigateur suédois retourne dans son pays, après une absence d’une année et demie consacrée à la solution d’un des grands problèmes de la géographie. Parti de Tromsoë, en Norwège, le 28 juillet 1878, il est arrivé à Yokohama le 4 septembre dernier, après avoir hiverné 264 jours sur les côtes de Sibérie. Le voyage de circumnavigation ainsi accompli rend donc désormais certaine l’existence, jusqu’alors problématique, d’une communication possible et jusqu’à un certain point praticable, entre l’Europe et l’Asie par l’Océan glacial arctique.

Cette découverte du passage du Nord-Est, — pour lui donner son vrai nom, — est due exclusivement à la science et à la perspicacité du savant professeur. M. de Nordenskiold avait, en effet, entrepris son expédition avec la certitude de la mener à bonne fin. De l’étude détaillée et approfondie qu’il avait faite des régions arctiques de l’Europe et de l’Asie, il avait conclu d’avance à la possibilité de suivre chaque été avec un navire les côtes de la Sibérie, pour déboucher par le détroit de Behring dans les mers du Japon. Deux voyages préliminaires, exécutés pendant les étés de 1875 et 1876, à la Nouvelle-Zemble et dans la mer de Kara, lui avaient donné une entière confiance dans la justesse de ses prévisions. L’expédition actuelle, entreprise grâce à la générosité combinée du roi de Suède, de M. Oscar Dickson, banquier à Gottembourg, et de M. Sibiriakoff, négociant à Yakoutsk, les a pleinement confirmées.

Depuis le départ de Tromsoë de la Vega — qui porte l’expédition — jusqu’au jour de l’hivernage, le 28 septembre 1878, aucune difficulté considérable, aucun obstacle sérieux n’a entravé la marche du navire. Le 5 août, les voyageurs traversaient la mer de Kara, libre de glaces; le 19, ils doublaient sans encombre le cap Tcheliouskine, le plus septentrional de l’Asie ; le 28, ils jetaient l’ancre à l’embouchure de la Léna, d’où ils nous expédiaient les dernières nouvelles de l’année.

Nous savons maintenant comment, après avoir poursuivi leur voyage sans trop de peines jusqu’à l’embouchure de la Kolyma, ils ont été soudain entourés par les glaces et obligés de s’arrêter définitivement à Sertsa-Kamen, sur la côte Sibérienne, à moins de cent milles de l’entrée du détroit de Behring, d’où ils n’ont pu se dégager que le 18 juillet dernier.

Il serait exagéré d’attribuer, dès maintenant, à cette voie maritime nouvelle, une importance de premier ordre pour le commerce. Une route praticable seulement trois mois sur douze, alors qu’on a déjà le canal de Suez et qu’on peut espérer franchir prochainement l’isthme de Panama, ne sera jamais que d’une utilité secondaire pour les relations entre l’Europe et le Japon. Toutefois, quand l’Océan glacial arctique sera mieux connu, avec des navires combinés en vue d’une navigation spéciale, on pourra ouvrir à la Sibérie, si riche en produits utilisables de toute sorte, des débouchés dont les ports du Nord de l’Europe pourront s’emparer et bénéficier. C’est là, en outre de la riche moisson de faits dont la science est appelée à profiter, un résultat suffisant pour donner à l’expédition de M. de Nordenskiold une importance de premier ordre.

La Nouvelle Revue (Janvier 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.