Gaule.com
Gaule.com

Abd-el-Kader

Lundi 1er décembre 1879 ♦ Actualité

Les journaux se sont beaucoup occupés, ces derniers jours, d’Abd-el-Kader, les uns pour annoncer sa mort, les autres pour la démentir. A ce propos, ce n’est pas sans regret que nous avons vu se reproduire un certain nombre d’attaques, au moins gratuites, contre la personne et le caractère de l’émir. Certains lui ont fait surtout un crime d’avoir accepté les bienfaits de l’Empire, et paradé en bottes vernies dans les salons de l’Élysée. D’autres ont rappelé avec une indignation touchante les actes de férocité dont il se serait souillé aux dépens de nos braves soldats. Le plus grand nombre enfin semblent s’être fait un malin plaisir de réduire à des proportions mesquines cette figure grandiose à coup sûr, si point héroïque ; racontant, avec force détails d’une authenticité plus que douteuse, que ce méchant homme de guerre était de taille moyenne, de physionomie fort ordinaire, avec le cœur et l’esprit à l’avenant. Ces gens-là se figurent sans doute qu’ils savent ce que c’est qu’un lion, pour l’avoir vu dans la cage d’un dompteur ou derrière les barreaux d’un jardin zoologique. S’il leur avait été donné d’apercevoir le vainqueur de la Macta parcourant les plaines de Tlemcen ou de Mascara, au galop de son bel étalon blanc du Djerid et faisant parler la poudre au premier rang de ses nombreux Kralifahs, alors seulement ils pourraient dire qu’ils ont connu l’émir Sidi el Hadj ben Mahi-ed-din Abd-el-Kader. Quant aux autres reproches adressés à cette glorieuse personnalité, il nous suffira de dire que l’homme qui ne cessa pas un instant de combattre pour défendre son pays et sa nationalité depuis sa proclamation comme émir dans les plaines de R’eris (décembre 1832) jusqu’au jour où il vint se remettre, à Sidi Brahim, entre les mains de La Moricière (23 décembre 1847), n’était pas un homme ordinaire ; que le soldat qui tint tête aux Desmichels, aux Clauzel, aux Bugeaud, aux Valée, et qui, pendant quinze années, balança la fortune de nos armes des portes d’Alger aux frontières du Maroc, n’était point un adversaire à dédaigner. Au surplus, qu’avons-nous à gagner, nous ses vainqueurs, à diminuer, à rapetisser ainsi l’homme dont la défaite nous a coûté tant d’efforts ? N’y a-t-il pas, au moins, de l’inconséquence, de notre part, à traiter un ennemi qui ne fut pas toujours en reste avec nous de bravoure, de solidité au feu, ni même de bonheur dans certaines rencontres ? Et ceux qui se refusent à respecter Abd-el-Kader ne s’aperçoivent-ils pas que par là même ils manquent de respect à notre glorieuse armée d’Afrique, sur qui repose, en somme, le meilleur de notre gloire militaire depuis cinquante ans ?

La Nouvelle Revue (Décembre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.